Votre psy n’est pas une IA, et heureusement pour vous 

Brut a demandé à une psychologue ce qu’elle pensait des « jeunes » qui utilisent une IA comme psy. Au-delà des réponses de cette consœur (que je ne connais pas), cette vidéo a surtout été pour moi l’occasion de me rendre compte de ce qui était tu sur ce sujet.

Capture d’écran du site de Brut

Qui parle quand l’IA s’exprime ?

Ce que la vidéo ne dit pas par exemple c’est que les réponses apportées par l’IA sont un agrément des réponses faites par les travailleurs du clic, autrement dit c’est la réponse statistique la plus fréquente faite par des gens qui ne sont pas spécialistes. Les réponses sont donc avant tout les idées reçues les plus fréquentes et non celles que feraient les psychologues. Réponses au pluriel car les approches des cliniciens sont différentes. Une psychologue formée aux thérapies cognitive-comportementales (TCC) ne fera pas les mêmes interventions lors des séances qu’une psychologue orientée par la psychanalyse. Les patients ont des besoins et envies différentes, qui varient en fonction de leur histoire et du moment de leur vie. La thérapie qui convient à 20 ans n’est pas forcément celle recherchée à 50. S’en remettre à un robot c’est rabattre toute sa subjectivité et oublier toutes les nuances nécessaires aux individus.

Comment sont produites ces technologies ?

Brut s’intéresse à une catégorie « les jeunes » – si tant est que cette catégorie existe. Ce sont ceux qui sont les plus atteints par les angoisses climatiques. Or l’IA détruit l’écosystème de la planète de manière accélérée : bétonisation des terres pour la construction des datas centers, consommation d’eau dantesque (1/2 litre par question) par exemple. Donc pour « les jeunes » utiliser l’IA pour parler de santé mentale c’est en même temps accentuer la dégradation de l’état de la planète qui est un des éléments récurrents de leurs angoisses en même temps qu’un élément de dégradation de leur quotidien car la vie sous réchauffement climatique est plus difficile (catastrophes [qui ne sont plus] naturelles plus fréquentes et plus violentes, augmentation majeure des maladies auto-immunes et des cancers par exemple). Quand le clic paraît si simple mais qu’il aggrave les conditions de vie en quelque sorte.

Qui entraine ces IA ?

Continuons. La fréquence très importante des récits d’agressions sexuelles et de leurs conséquences psychiques dans les séances chez les psychologues sont aussi des éléments à prendre en compte. En « parler » à une IA fait donc partie des pratiques qu’on peut imaginer comme relativement fréquentes étant donné la difficulté à articuler cette parole. Or les travailleurs du clic pour le compte des entreprises de l’IA sont confrontés à des scènes d’une atroce violence (meurtres, viols, violences pédopornographqiues) qu’ils doivent – pour 10 dollars par semaines à raison de 60h de travail – « modérer ». Ils doivent donc visionner ces images et les catégoriser. Le tout évidemment sans prise en charge par des psychologues qui coûterait de l’argent à ces entreprises prédatrices. Ces personnes en développent des troubles du stress post-traumatique accentuant les problèmes de santé mentale dans les pays du Sud.  Ces traumatismes vicariants les hantent. « Consulter » une IA pour parler de ses traumatismes c’est donc le faire sur le dos des plus pauvres, eux-mêmes victimes mais laissés à leur condition de travailleur pauvre dans un pays pauvre où le système de santé est encore plus dégradé que chez nous.

Et demain ?

De plus, le danger se pare aussi parfois des vertus les mieux intentionnées. Ainsi de l’expérimentation de Doctolib actuellement. Le site hégémonique en France de prise de rendez-vous médicaux propose actuellement aux médecins l’utilisation de l’IA pour leurs consultations. La procédure est très simple côté médecin : l’ordinateur ouvert – nul besoin d’enclencher un enregistrement – enregistre la consultation et l’IA rédige le bilan à la fin de la consultation. Mais la simplicité de ce service interroge. Quid des données collectées aujourd’hui mais surtout demain quand on voit la vitesse à laquelle les grandes entreprises américaines se sont rangées derrière le pouvoir techno-fasciste mis en place par le binôme Trump-Musk aux Etats-Unis ? En France Bolloré et Sterin pour n’en citer que deux œuvrent déjà à la promotion des idées les plus rétrogrades et dévastatrices pour les individus et les sociétés. Revenons aux bilans rédigés magiquement par l’IA. Qui le pensera et quelles conséquences ce genre de pratiques aura dans les prises en charge ? Un des dangers est de faire croire à ces médecins (évidemment pas les anciens mais les futurs qui arriveront diplômés avec cette technologie disponible) qu’ils peuvent s’éviter de penser.

L’IA, nouveau signifiant

L’IA est donc partout dans les discours actuels. Nouveau signifiant dans lequel se jettent les plus naïfs qui ne perçoivent pas les enjeux économiques, les moins informés qui sont loin d’imaginer les conditions de production et l’idéologie mortifère à l’œuvre, les plus pauvres qui sont les premières victimes de la destruction des services publics de santé. Ils croient y trouver la facilité, la rapidité, l’efficacité, ils œuvrent surtout à la perpétuation et au développement d’un système profondément inégalitaire, qui n’a rien de naturel mais est au contraire savamment organisé par quelques milliardaires à leur unique profit.

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