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Les transclasses ou la non-reproduction
Une fille d’agriculteurs qui devient comptable. Un fils d’ouvriers qui devient historien. Des exceptions dans leurs fratries, mais des exceptions aussi d’un point de vue sociologique.
Transclasse. C’est le terme qu’a choisi Chantal Jaquet pour parler de la non-reproduction sociologique. Préférant ce terme à celui de transfuge ou de déclassé, elle chercher à comprendre les conditions permettant ces rares parcours et les effets sur les sujets.
Mais comment penser un phénomène minoritaire ? Comment documenter une exception sociologique ? C’est bien à une « pensée des exceptions » qu’elle travaille ici pour comprendre le passage de l’autre côté du monde social. Chantal Jaquet tente de répondre à ces questions à l’aide notamment de la philosophie de Spinoza, de la sociologie de Bourdieu, des écrits d’Annie Ernaux (La place, La honte, Une femme) et de Didier Erixon (Retour à Reims), ou encore des romans du XIXe siècle tels Le rouge et le noir ou Les illusions perdues.
S’interrogeant d’abord sur les causes de la non-reproduction, elle remet en question la mythologie du don et de l’individu se réalisant seul montrant que l’ambition suppose déjà l’existence d’un modèle, donc d’une dynamique mimétique. Les modèles familiaux et scolaires ne sont pas suffisants pour produire cette non-reproduction, et même si certaines conditions socio-économiques peuvent favoriser ces trajets de vie, ces derniers ne peuvent se mener qu’adossés à des affects dont le sujet veut se débarrasser : honte, ressentiment, culpabilité, souffrance.
Il y a donc bien des déterminations économiques, sociologiques, familiales et affectives à l’oeuvre dans l’histoire de chacun, et c’est un faisceau causal qui permet le développement d’aptitudes telles l’inventivité et l’originalité du sujet.
Ce parcours implique nécessairement une désidentification au milieu d’origine, une déconstruction du moi personnel au sens pascalien et du moi social. Le transclasse passe d’un milieu à un autre mais se pense souvent dans un entre-deux et dans une distance – mouvante – entre le milieu d’origine et le milieu d’arrivée. Il vit cette distance dans une forme d’ambivalence oscillant entre la honte et le mépris de son milieu d’origine et une certaine fierté et fidélité aux valeurs dans lesquelles il a été élevé. N’adhérant jamais totalement aux codes du groupe qu’il intègre, il alterne entre allégeance et résistance à ceux-ci.
Chantal Jaquet montre ainsi dans son essai passionnant que si aucune existence n’est pure reproduction, celle des transclasses fait la part belle à une logique de l’écart, de la marge, du jeu qui vient rendre possible une mobilité sociale.
