Le BAPU Luxembourg en grève

Le BAPU Luxembourg est en grève. Déflagration. Les portes du Bureau d’Aide Psychologique Universitaire de la rue Henri Barbusse dans le 14e arrondissement de Paris sont fermées. Depuis octobre 2024, la contestation gronde contre la gestion de La Croix-Rouge française et à partir du 3 février 2025, l’équipe du BAPU entame une grève illimitée.
Comment dire à quel point ce lieu est d’utilité publique ? Comment exprimer la nécessité de maintenir des structures de ce type pour les étudiant.es ?
La particularité du BAPU quand j’y ai mis les pieds pour la première fois en 2000 c’était la simplicité d’accès pour l’étudiante en troisième année d’histoire que j’étais. Appeler, dire qu’on souhaitait un rendez-vous, être rappelée quelque temps après avec un nom, un jour et une heure de rendez-vous. Sur place, une secrétaire s’occupait de faire les choses dans les règles vis-à-vis de la Sécurité Sociale. Pour le reste, il s’agissait de venir à son rendez-vous et de se coltiner son inconscient. Je ne dirais pas que c’était simple mais au moins je ne m’occupais pas du reste et puisque mon inconscient c’était le mien autant que je m’y colle.
Si j’ai pu essayer d’y comprendre quelque chose c’est que j’y ai fait une rencontre, ou plutôt deux. Au début de l’année 2000, je me suis assise face à une femme qui m’a écoutée. Je me souviens de peu de chose de ce que j’ai dit ce jour-là mais je sais qu’il y avait beaucoup de larmes. À la fin de la séance, elle m’a demandé si je voulais revenir. J’aurais pu lui répondre que vu mon état je ne voyais pas comment faire autrement. Mais j’ai simplement bafouillé un oui. Ça a suffit pour revenir la semaine d’après. J’avais rencontré mon analyste Myriam Ziri-Ameline. Je ne savais pas bien ce qu’il s’était passé mais je voulais m’accrocher à l’idée qu’un jour j’irais mieux. C’était encore du conditionnel. Le chemin fut long et tortueux mais j’ai réussi à me lever tous les jours, à passer mes examens puis les concours d’enseignement. Sans ces séances – mouvementées, sombres, silencieuses, libératrices, éclairantes selon les jours – j’aurais arrêté.
Au fil des années, j’ai compris que j’avais aussi rencontré la psychanalyse. J’ai alors commencé à lire, sans y comprendre grand chose au début. Mais je lisais. De moins en moins de livre d’histoire et de plus en plus d’essais de psychanalyse.
Ce sont dans ces deux rencontres décisives – permises par le BAPU – que s’est construit mon choix bien des années plus tard de reprendre des études pour devenir psychologue clinicienne et de fréquenter des associations de psychanalystes et leurs séminaires pour m’autoriser un jour à me dire psychanalyste.
Les choix de management d’une institution ont donc des effets sur les sujets, sur ceux qui y travaillent comme sur ceux qui bénéficient de ses services.
Protocole partout, soin nulle part
Aujourd’hui l’équipe du BAPU conteste le management brutal de la Croix-rouge française, l’évaluation et le protocole partout au détriment de l’écoute.
Écouter prend du temps.
Écouter nécessite de s’adapter à chacun.
Écouter exige un cadre institutionnel contenant et une équipe en confiance pour travailler librement.
Parler est déjà suffisamment coûteux pour le sujet. Nul besoin de lui ajouter des entraves administratives.
Les étudiants d’aujourd’hui ont toujours autant besoin de lieux comme celui-ci parce que la précarité étudiante est toujours massive et que l’entrée dans l’âge adulte est parfois un virage difficile à négocier. La période actuelle est très anxiogène. J’ai le souvenir très net de ma séance du lundi 22 avril 2002 au lendemain du premier tour de la présidentielle qui avait propulsé au second tour l’extrême-droite. Effarée par la montée du racisme et des idées les plus rétrogrades. Or 2025 a débuté dans une atmosphère encore plus glauque, et aux dangers politiques s’ajoutent depuis plusieurs années des angoisses climatiques qui n’ont rien d’abstraites. Raisons de plus pour maintenir ces lieux aux pratiques ouvertes et garantir aux psy qui y travaillent une liberté d’action à même de leur permettre d’écouter.